Qui n'a jamais été confronté à cette malheureuse expérience lorsque, après avoir débouché une bonne bouteille, celle-ci s'avère bouchonnée et donc imbuvable ? On estime aujourd'hui que le "goût de bouchon" touche 3 à 5% de la production mondiale et qu'il engendre une perte annuelle de plus de 500 millions d'euros.
Ce défaut, véritable cauchemar des amateurs, est dû à la présence d'un composé chimique, le trichloroanisol (TCA), contenu dans le liège (il s'agit dans ce cas du 2,4,6 trichloroanisol) ou issu de la dégradation de certains produits fongicides pour le traitement du bois et qui contaminent le vin via l'atmosphère de la cave (il s'agit alors du 2,3,4,6 trichloroanisol).
Découverts et isolés par les chimistes il y a une trentaine d'années, les TCA sont détectables à des concentrations infimes, puisqu'un taux de 5 nanogrammes/litre de TCA (soit 5 milliardièmes de gramme / litre) est décelable par tout un chacun, 2 à 3 ng/l pour un nez bien entraîné.
Le problème, certes, n'est pas nouveau et remonte au XIXe siècle avec l'apparition des vins de garde. En 1903, l'œnologue Georges Jacquemin estime déjà qu'il faut apporter bien plus d'attention aux bouchons qu'aux bouteilles. Un siècle plus tard, le conseil tient toujours, mais la révolution est aujourd'hui en marche.
Conscients du fléau, les vignerons délaissent peu à peu le traditionnel bouchon en liège et se tournent de plus en plus aujourd'hui vers des matériaux alternatifs. Les bouchons synthétiques et les capsules à vis ont déjà commencé à revêtir le col de leurs bouteilles.
Si les premiers (bouchons synthétiques) peuvent présenter l'inconvénient de laisser passer trop d'air (problème d'oxydation future), les seconds (capsules à vis), plus ou moins hermétiques à l'air selon les produits et leur conception, semblent rester neutres vis à vis du vin et ont été adoptés par certains des plus grands domaines du vignoble français, y compris pour leurs cuvées les plus prestigieuses.
Mais il y a un hic. Le consommateur rechigne à acheter des bouteilles encapsulées et reste méfiant vis à vis de ce procédé, d'autant qu'on n'a peut-être pas encore le recul nécessaire pour en prouver sans discussion la totale efficacité.
Et puis, et surtout, l'image de la capsule, qui orne bien souvent les bouteilles de modestes vins cuits, n'a rien de comparable à celle du bon vieux bouchon en liège, dont le chatoyant "plop" de débouchage reste un élément fondamental du rituel d'ouverture. Les producteurs de capsules l'ont bien compris et proposent désormais des habillages particulièrement soignés pour amoindrir le côté "bas de gamme"que véhicule naturellement la capsule.
Si le packaging et marketing paraissent essentiels pour faire accepter la capsule à vis, un gros effort de pédagogie reste toutefois à accomplir par le vigneron auprès de sa clientèle. On ne change pas du jour au lendemain des méthodes et des habitudes séculaires.
Les vignerons alsaciens qui se sont tournés vers des solutions alternatives au liège (Jean-Pierre Frick, Domaine des Marronniers, Domaine Albert Mann, Seppi Landmann, Domaine Paul Blanck…) ont parfaitement compris cet enjeu et communiquent largement sur leur choix en l'expliquant à leurs clients. Le domaine Albert Mann et le domaine Paul Blanck, par exemple, qui ont adopté la capsule, consacrent même une page Internet à ce sujet sur leur site.
L'arrivée et le développement de la capsule signent-ils pour autant l'arrêt de mort du bouchon en liège ?
Pas si sûr. Certains domaines, conscients du problème du liège mais qui, pour des raisons techniques, ne peuvent utiliser la capsule, ont opté pour une autre solution.
En Alsace, le domaine Hugel a ainsi jeté son dévolu sur un bouchon en liège soumis à un traitement au gaz carbonique supercritique (procédé Diamant) pour en éradiquer le TCA.(cliquez ici pour accéder à la page du site Hugel consacrée à ce bouchon).
Néanmoins, la grande majorité des spécialistes le prédisent : la capsule à vis envahira complètement le marché dans les 15-20 ans à venir et l'Alsace devrait, comme toutes les autres régions viticoles françaises, suivre le mouvement.
Un phénomène qui paraît d'autant plus inéluctable que la pression des importateurs est de plus en plus forte, ceux-ci préférant la capsule au liège pour des raisons économiques (perte due au goût de bouchon) ou culturelles (en Nouvelle-Zélande et en Australie, par exemple, le consommateur est habitué à la capsule à vis et ne s'encombre pas de tire-bouchon).
"Tire-bouchon", voilà un mot qui devrait disparaître du vocabulaire, même si son utilité devrait perdurer encore quelques décennies dans le secret de nos caves.